La maladie du monde?
Jean Faya
Hiver 2026
Voilà pour nous un nouvel an de recherche qui se termine. Les fêtes de fin d’année progressivement prennent l’espace de nos esprits. C’est le temps où les bilans vont donner de la voix avant de laisser place, le réveillon passé, aux bonnes résolutions. Nous, nous voulons bien laisser la parole aux bilans, mais nous savons qu’il faut l’accompagner cette parole. Car dans bien des lieux, elle se lâche sans bien se tenir. Elle se répand sur la laideur du monde comme pour nourrir une avidité mal placée, à parler de ce qui va mal et des seules choses affreuses. Mais problème : évoquer c’est faire advenir. Alors vigilance ! Christian Bobin partageait avec nous cette ambition de proposer un vivre poétique. Il faut pour cela disait-il une tenue de langue et d’âme, qui réenflamme la vie, qui redonne le courage et envie de vivre, et qui nous remette à la hauteur de la splendeur qu’est cette vie (Bobin, La Grande Librairie, 2019).
À force de bilans, nous avons rendu le monde étranger à nous-mêmes. Nous lui accolons une objectivité qui n’existe que dans la naïveté des discours tristes de savants chroniqueurs et les présupposés des diatribes énervées de nos politiques. On prête au monde une vérité naturelle comme s’il allait de cette laideur pour tous et partout. Nous reconnaissons bien que le monde souffre d’une maladie. Mais cette maladie, c’est précisément cet objectivisme qui impose ses illusions et ce naturalisme qui éteint bien des perspectives et relègue beautés et bontés au placard.
Dans cet anxieux tourbillon, des esprits lumière proposent une autre voie. Une voix qui sauve en dépoussiérant les vérités éternelles. Nous avons terminé l’année dans la philosophie d’Edmund Husserl sur laquelle se base le projet de recherche de Let-Know Café. Husserl propose, pour la maladie du monde, un soin que nous voulons faire nôtre, dans sa célèbre invitation d’un retour aux choses mêmes. Il nous faut effectivement réhabiliter le monde de la vraie vie, celui qui est là devant nous, donné par nos sens, là en chair et en os. Il faut apprivoiser à nouveau ce monde de la vie et mettre plus de distance avec cette hallucination permanente du monde absent dont les images cannibales médiatico-politiques nous enferment. Soigner la vie, c’est revenir à ce que nous offrent nos sens, retrouver le point de rencontre et d’enlacement entre l’homme et le monde (Adonis, Vers un sens à venir). Soigner la maladie du monde, c’est réanimer notre part d’imaginaire et nos rêves mythiques. Le règne du réalisme et de la realpolitik nous rend infirme et mutilé.
Husserl dans sa conférence de Vienne en 1935 voulait soigner la crise de l’humanité européenne à l’échelle d’un continent qui allait connaître le pire. Sa philosophie peut au-delà et à bien des égards, montrer la voie pour une relation thérapeutique bien soignée. Dans la consultation, revenir à la personne même. Faire ce travail husserlien de se départir de nos préjugés, de cette façon que l’on a de connaître l’autre avant même de l’avoir rencontré en le confondant avec nous-mêmes, de comprendre qu’en bonne partie nous créons nous les situations de soin que nous vivons. Devant l’autre, faire vœu de pauvreté de savoir, se méfier de notre obstination aux diagnostics et à leurs inventions. Aller par l’imaginaire tenter de se mettre à la place du soigné. Quitter cet entêtement culturel à analyser pour donner la place au dialogue, à la danse de l’empathie où l’expression de l’un fait naitre celle de l’autre qui alors fait naitre une nouvelle expression chez l’un. Avoir parfois pour seule ambition thérapeutique de flotter dans l’être avec une autre vie comme le dit si bien Maurice Merleau-Ponty. Et chercher l’harmonie, comme l’ouverture d’un espace où le patient va pouvoir exprimer en souverain qui il est. Se ressaisir de cette responsabilité. Une voie de guérison. La phénoménologie Husserlienne comme voie de guérison, c’est l’axe de recherche de Let-Know Café. Une bonne résolution !
Jean Faya