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les mois en jachère

Le(s) moi(s) en jachère

Annick GOTTELAND

Eté 2025

L’été approche ? Temps de loisirs ! De la vacance ! Et pourquoi pas de la jachère ?!

 

La jachère est une terre qui bien labourée et hersée n’est pas ensemencée.

Une terre qui n’est pas de temps à autre mise en jachère donne peu de fruits à moins d’être forcée artificiellement 

Quand la petite graine germe dans la terre, c’est la racine qui sort en premier.

Les feuilles apparaîtront ensuite plus ou moins vite.

Cette racine n’est que poussée audacieuse, téméraire.

Elle n’est aussi qu’espérance.

« Montée patiente dans le noir vers le jour qu’elle ne sait pas et ne verra jamais vers la fleur qu’elle ne sait pas et que sa nuit allaite. » (1)

 

Nous vivons à la surface de nous-mêmes avec une secrète volonté de tout maîtriser.

Nous sommes dans une impasse.

Il nous faut trouver un passage.

Un mouvement de rupture s’impose.

Je prends la décision de « me foutre la paix« (2) quelques jours ou quelques heures par jour durant cet été.

Je vais essayer de me comporter face à moi-même sans but, sans intention, sans m’efforcer de combler coûte que coûte ce vide d’occupations et de ruminations mentales.

 

Nous laisser faire voilà à quoi nous sommes conviés !

 

J’accepte de vivre en m’accommodant de relations très réduites avec l’environnement.

Geste d’ouverture qui paraît simple, mais qui est en réalité complexe tant sont nombreuses les résistances qui nous habitent !

Je perds mes repères. Je suis au bon endroit.

Peut alors advenir ce que je ne peux pas produire par ma propre industrie si sophistiquée soit elle !

 

Cette dé/prise de moi-même va permettre l’émergence de la sur/prise.

 

La sur/prise n’est pas dans les choses, mais comme le disent les japonais, mais dans le « Ah! » des choses c’est-à-dire dans le surgissement de la présence.

Cet instant n’a plus de passé ni de futur.

Un espace de spontanéité toute enfantine !

Il emplit tout.

Tous les aspects de ma condition humaine sont intégrés.

Il n’y a pas de reste !

C’est non quantifiable.

Ça ne m’augmente pas ni ne me diminue à la différence de l’avoir.

Je re/trouve une santé intégrale.

 

L’énergie vitale circule en moi « à tous les étages » comme l’évoque Francis Hallé à propos des plantes.

« La partie aérienne et les racines s’envoient des messages en permanence.

C’est d’autant plus important que la plante vit dans deux milieux différents.

S’il n’y a plus d’eau dans le sol par exemple les racines envoient un signal électrique aux feuilles.

Les stomates se ferment. La photosynthèse s’interrompt.

Il n’y a plus d’évaporation d’eau.

Des informations sont aussi échangées entre racines et feuilles de cellules à cellules par des signaux électriques et par des signaux chimiques grâce à la circulation de la sève. » (3)

 

Paradoxalement, la jachère est un des lieux où je déserte le moins le champ humain.

Elle a une dimension cosmique.

Le simple fait de prendre ce temps que je soustrais aussi en partie à mon entourage implique que je le fais aussi pour eux-mêmes, même s’ils ne le savent pas où ne s’y intéressent pas.

 

Dans mon humus, dans ma terre, ma terre intérieure, cohabitent des multitudes de graines.

Elles portent en elles leur avenir caché, lui aussi, inouï, insu, toujours prêt à se déployer, disponible si nous prenons le temps d’une pause, d’un temps de jachère…

Un temps d’aération !

Mais pour que la semence devienne fruit, il faut du temps, un temps long de maturation.

 

Jolie pirouette ! Le fruit est en promesse dans la graine et la graine est en promesse dans le fruit.

Et le fruit a ceci d’étonnant qu’il porte sa semence cachée et possiblement offerte pour donner encore plus de fruits.

 

La jachère : cet espace qui m’ouvre à tous les possibles.

« Comme si la vraie formule d’attendre était celle-ci :

ne rien prévoir sinon l’imprévisible.

Ne rien attendre sinon l’inattendu.

Ce savoir-là vient de loin.

Ce savoir-là qui n’est pas un savoir, mais une confiance... »(4)

 

Belle jachère ! Bel été !

 

Annick Gotteland

 

 

1 Marie Noël. Carnets intimes

2 Fabrice Midal. Foutez-vous la paix 

3 Francis Hallé.L’étonnante vie des plantes 

4 Christian Bobin. Éloge du rien

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