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la kiné du moineau

La kinésithérapie du moineau !

Jean Faya

Automne 2024

Sur le trajet du retour des vacances d’été, nous avons effectué une halte familiale à l’hôpital de la faune sauvage à Laroque dans l’Hérault géré par l’association Goupil Connexion et Marie-Pierre Puech, vétérinaire, qui est intervenue à Let-Know Café le 14 juin 2024. Cette structure a pour vocation de recueillir, soigner et réhabiliter des animaux sauvages en détresse pour les relâcher dans le milieu naturel dans un souci de sauvegarde des espèces. Cette visite fut pour petits et grands tout à fait marquante par sa singularité. On comprend vite à l’arrivée que l’on n’est pas dans un musée de la faune sauvage ou je ne sais quelle association d’éducation naturaliste. Derrière la porte discrète sur rue, comme à la maternité de la Croix-Rousse, on arrive dans un petit sas avec un interphone. Une fois le sas passé, comme dans un service hospitalier pour humain, vous croisez des blouses blanches au pas rapide et décidé, au visage tendu de concentration. Comme dans nos CHU, vous constatez la hiérarchie de vétérinaires à l’expérience qui enseignent les plus jeunes, dans un souci de pédagogie tout autant que de thérapie à bien mener. Mais ce qui frappe dans cet hôpital, c’est la rencontre des patients. L’altérité est totale. J’avais expérimenté cette distance impressionnante entre ma culture et la culture des soignés, lors de passages dans les structures de soins de pays lointains : angoisse de devoir soigner sans comprendre la langue, les codes, les attentes, les symptômes. Ici l’affaire est radicale : vous croisez de pièce en pièce les regards de ceux dont parlent bien des livres pour enfant, mais que l’on ne voit jamais : renards, hulottes, faucons, cigognes, effraies, hérissons… Et ceux-là vous fixent de leurs yeux et vous proposent alors un lien inédit. À l’hôpital de la faune sauvage, on vous parle également de culture, que les patients d’ici ont aussi une culture, on vous le rappelle plusieurs fois. Il faut y être attentif, tenter de la comprendre, en tout cas la respecter. Et par l’attention, la délicatesse, le souci du contact, le soin se fait comme par miracle. Et la mort est là aussi dans sa simplicité, avec la vie. Je n’aurai pas pensé un jour voir une jeune soignante faire de la kinésithérapie des membres inférieurs à un moineau. L’effet est je vous l’assure celui d’un choc, un électrochoc qui brutalement vous remet en juste place, vous donne à la fois envie de pleurer d’émotion et de saisir cette poésie pour la ramener dans notre vie, nos réflexions sur le soin. L’enseignement est hors norme : rendre visible celui qui est invisible ; donner toute sa place à une vie qui ailleurs pourrait être considérée comme une petite vie, insignifiante ; réaliser que les lieux de vie de ces invisibles et les nôtres sont des lieux communs, et que le mode de vie des uns influe sur le mode de vie des autres ; respecter les cultures inaccessibles. Les vétérinaires nous le répètent, le soin de ces êtres passe par une prévention des accidents dont bien des humains ont la responsabilité.

Mais il y a mieux encore ! Cela rappelle l’anecdote que nous avions évoquée dans une précédente nouvelle, d’Eduardo Kohn ce professeur d’anthropologie canadien, qui psycho-traumatisé depuis des semaines par une énorme pierre qui vint s’écraser sur le toit de sa voiture lors d’un éboulement de terrain, va un jour se promener avec sa cousine sur les bords d’une rivière et aperçoit un tangara, cet oiseau coloré. Il le vise avec ses jumelles. Et au moment où le bec noir de l’oiseau devient net, il ressent un changement soudain. Son sentiment de séparation du monde disparaît instantanément. Il explique qu’il s’est alors senti appartenir à un esprit plus grand que son propre esprit, à un monde plus large que son propre monde. Son existence devenait située dans un monde tangible, au-delà de l’humain, dont il faisait aussi partie. Se réancrer dans le monde au-delà de soi-même, au-delà de l’humain, par la rencontre avec les choses pour ouvrir le champ des possibles et trouver guérison, c’est une des capacités de l’hôpital de la faune sauvage. Quand le soin des invisibles soigne les humains. L’affaire est des plus importantes, et nous allons continuer le lien avec Goupil, et suivre avec un grand intérêt leur projet d’évolution vers un monde nouveau, celui de Nicouleau ! On vous en causera !!

 

Jean Faya

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