Lettre à Laurent (audio)
Jean Faya
3 octobre 2016
Hou là là, Laurent ! Sacrée sortie, ce 15 septembre 2016, sur les personnes dont le trajet de vie a calé, là-haut, à Calais !
Il paraît que tu veux t’opposer à la venue de 1784 migrants en Auvergne-Rhône-Alpes annoncée par le gouvernement en vue du démantèlement de la « jungle » et soutenir les maires qui feraient de même. Tu aurais même lancé que « c’est une folie de la part du gouvernement de vouloir multiplier des Calais partout en France ». Là, franchement, nous avons du mal à comprendre le sens de ton positionnement. Tu sembles opérer un dangereux renversement qui laisserait à penser que les personnes qui souffrent le plus de la migration sont nos concitoyens. Il n’y a en fait aucune commune mesure entre un possible inconfort pour la population de notre région à accueillir ces personnes et l’épreuve dramatique que vivent ces femmes, ces hommes, ces enfants. Et tu te présentes comme le gardien de la nation contre une immigration clandestine. Mais la question aujourd’hui ne se pose pas en ces termes ?! Il ne s’agit pas de désigner lesquels d’entre ces individus seront légaux ou illégaux. Il s’agit de savoir comment soutenir et accompagner des personnes qui ont été contraintes de prendre la route pour sauver leur vie. Toi, le Républicain des « Républicains », c’est le moment, là, de les sortir, les valeurs justement républicaines ! Et n’oublie pas qu’il y en a trois, dont la fraternité, qui devrait nous inviter à porter soutien en priorité aux personnes les plus vulnérables sur notre territoire.
Mais Laurent, l’enjeu n’est pas seulement un enjeu de solidarité. Il est un enjeu politique. Les personnes migrantes qui arrivent en France témoignent d’une problématique politique globale. Notre pays, le leur et bien d’autres sont en interrelation. Les moyens de communication font que tous se regardent, que tous échangent. Les économies sont en interdépendance. Les défenses des intérêts nationaux sont intriquées. On ne peut déconnecter la question de l’accueil des migrants à l’analyse des causes qui les ont poussés à prendre la route. Et notre pays ne peut réfléchir à sa politique migratoire sans réfléchir à sa propre implication dans le contexte local qui pousse les personnes à fuir. Sans cette analyse, il devient effectivement bien plus difficile de comprendre les enjeux, et de proposer des solutions justes et constructives. Au Moyen-Orient, les guerres françaises en Afghanistan en 2003, en Libye en 2011, aujourd’hui en Irak-Syrie, ont-elles contribué à amener paix, prospérité et sécurité aux populations locales ? La très forte implication de nombreux acteurs économiques et financiers français dans bien des pays d’Afrique, aujourd’hui les plus pauvres du monde, contribue-t-elle à amener paix, prospérité et sécurité aux populations locales ? Refuser l’accueil de migrants sans interroger l’implication de notre nation dans leur départ ne tient pas politiquement. Si on veut en responsabilité que des populations ne soient plus contraintes de migrer, il n’y a qu’une manière pour la France de le faire : être exemplaire sur le fait de ne contribuer d’aucune façon aux raisons de leur migration.
Et là, Laurent, on doit te reconnaître une qualité, soit ta grande tolérance à cet intolérable. Certes, tu es loin d’être le seul à avoir cette capacité ! Et il faut dire que c’est assez pratique. Tu empêches ainsi que n’affleurent des questions qui, tu en conviendras, font bien mal. Didier FASSIN, médecin et anthropologue, lui, semble bien cerner ta position :
« On peut ainsi considérer que la thématique omniprésente de la sécurité, tant au plan international qu’à l’intérieur des sociétés, a précisément pour fonction de déplacer les sentiments d’injustice et de compassion à l’égard de l’autre vers des nécessités de projection pour soi, justement contre cet autre devenu menaçant. Le basculement progressif de l’asile politique dans l’illégitimité au cours du dernier demi-siècle, avec en corollaire la pénalisation des demandeurs d’asile assimilés à des irréguliers, relève de cette logique » (FASSIN, 2005, p. 15).
Toi, tu institues tes propres catégories d’intolérable, selon ta propre ligne de partage du monde, cette fois entre nous, dont tu sacralises l’existence, et eux dont la vie devient avec toi sacrifiable, sans valeur, sans existence.
Mais Laurent, il te faut comprendre, pour devenir un Homme Politique, que c’est, comme dit Didier FASSIN, « l’injustice dans leur exécution qui sape l’universalité des droits » (Id, p. 15). Tu vois, c’est là que le genre de positions que tu défends est absurde. Tu te perds dans un gloubiboulga moral que tu dissocies profondément de ce que Fassin appelle l’économie politique (Idib, p. 48), à savoir comment on échange, on collabore, on s’organise pour faire vivre la cité, soit aujourd’hui le monde globalisé, pour être ensemble sans s’entredéchirer. Quand il n’est aujourd’hui que justice que de proposer dans le contexte global actuel un accueil inconditionnel à ceux qui demandent protection, toi tu veux supprimer l’Aide médicale d’État qui soigne bon nombre de ces personnes ?! Nous, on préférerait que nos responsables politiques mobilisent toute leur énergie pour réduire les inégalités politiques et économiques entre les nations, et ainsi faire disparaître toute nécessité d’entraver la liberté de circulation.
Allez, nous on ne t’en veut pas. Tu n’as pas un job facile, et toi et tes collègues, vous êtes tous enfermés dans votre monde. Et nous, on est sympa et on est ok pour t’aider ! Passe-nous voir un jour à Let-Know Café. Nous pourrons ensemble, en responsabilité, penser un discours et des solutions dignes et acceptables par tous pour accueillir en région Auvergne-Rhône-Alpes ceux qui cherchent protection aujourd’hui, comme de nombreuses familles françaises ont pu chercher protection à l’étranger il y a à peine quelques décennies.
Salut et fraternité !