
Rencontre avec Méhilaeinen, l’oiseau médecine et magicien
Jean FAYA
Automne 2025
Il sera écrit dans le traité de médecine poétique, rapporté de l’enseignement du maître Hölderlin, l’importance du voyage pour la poésie et le soin qu’elle dispense, l’importance d’aller loin de son pays à la fois pour recevoir les enseignements des aridités ou des froideurs des terres lointaines et aussi pour y collecter la beauté du monde. Le poète est un marin, celui qui à l’image de sa vocation poétique sait partir pour revenir. C’est le passeur. Nous avons évoqué à Let-Know Café au mois de mai de cette année, l’importance de la beauté pour soigner comme en témoigne la pratique de l’homme-médecine navajo.
Alors avec tout cela en tête, j’ai au milieu de l’été pris la route vers le Grand Nord, dans la ferme intention d’aller interroger ces terres sauvages et recevoir l’enseignement de leurs beautés. J’ai pris comme seul matériel un petit livre couvert de la photo de l’homme de lettre et voyageur du XIXe siècle Xavier Marmier, au titre sobre « Poésie finlandaise ».
La Finlande nous a accueillis dans une douceur inhabituelle et dans la longueur de son ensoleillement. Dans ce pays, la lumière ne semble jamais s’éteindre. L’eau et les forêts se partagent le territoire fait de milliers d’îles, de milliers de lacs, de pins sylvestres et de bouleaux, dressés là dans le silence d’une étendue infinie. Sans hautes montagnes, le ciel parait gigantesque toujours. La présence humaine est discrète et clairsemée. La Finlande est tranquille et il semble se dégager de la beauté de ses paysages un chant harmonieux.
Xavier Marmier a collecté les récits de l’origine mythique de ce chant auprès des paysans de cette terre : Kawa le géant, après avoir dormi trente années dans les entrailles de sa mère déchire lui-même le sein qui l’a porté. Il vient au monde et enfante à son tour des filles qui portent les monts et les vals dans les plis de leurs robes et douze fils qui étonnent par leur force. L’un de ces fils est Waeinemoeinen, le dieu des vers et de l’harmonie. Waeinemoeinen crée la lune, le soleil et les étoiles. Puis il crée des îles, creuse des baies, façonne des bancs de sable. Un jour, il construit une harpe à partir des branches d’un bouleau triste, maltraité et abandonné, pour changer sa douleur en joie. Et le dieu de la poésie délègue sa harpe mélodieuse aux Finlandais, et ils la font vibrer dit l’écrivain encore aujourd’hui avec amour. Ainsi va le soin de Waeinemoeinen pour l’arbre, la terre et son peuple dans une harmonie qui offre le bien vivre et la prévention des maux.
Mais blessures et maladies adviennent parfois, et il faut bien alors de la médecine pour guérir ! Un jour de ce voyage, au bord d’un lac, un tout petit oiseau est venu se poser devant moi. Il était rond de plumes et me regardait fixement. Je me suis approché et bien vite, j’ai compris qu’il n’était pas comme les autres. Il ne s’effarouchait pas. Il sautillait devant moi, toujours les yeux rivés aux miens, comme pour me dire quelque chose. J’ai fini par aller étendre le linge que j’avais dans les mains, tout en me disant sans bien comprendre la situation, que je me trompais dans mes priorités ! Il est bien difficile d’être disponible à la magie. Le médecin-magicien de la mythologie finlandaise se nomme Méhilaeinen. C’est un petit oiseau, le plus léger, le plus faible de tous les oiseaux. Il s’en va au-delà des mers chercher la boisson qui réconforte les sens et le baume qui ferme les blessures. Quand on invoque son secours, il s’envole au-delà des régions du soleil et de la lune, pénètre dans les propres sources du créateur pour tremper ses ailes dans le miel de la vie, puis revient vers le malade qu’il guérit ou ressuscite à l’aide du baume céleste.
Xavier Marmier le dit : « Le rhapsode [le chant de la poésie] finlandais personnifie la beauté, la force, la grandeur de la nature. C’est la lutte et l’action des éléments qu’il représente dans les images symboliques. Enfant de la nature et passionné par elle. Il regarde seulement et il admire […]. Il raconte avec enthousiasme, tout ce qu’il a vu et entendu dans les rêves de sa solitude. Il associe à ses chants de bonheur ou à ses larmes tous les êtres animés et inanimés qui l’entourent. C’est l’alliance étroite et la fusion de son être avec les éléments. Ce n’est pas des divinités qu’il cherche et vénère, mais la nature même dans sa grâce et sa puissance, dans ses sources d’harmonies et sa mâle beauté. »
Et dans cette pensée, celui qui sait soigner est le discret, celui que l’on ne voit pas, le plus petit, le plus léger et le plus faible. Celui qui sait voler.