
Le soin par la beauté
Jean Faya
Eté 2025
Dans la tradition des Indiens Navajo d’Amérique du Nord, un individu tombe malade lorsqu’il n’est plus en harmonie avec l’univers et sa beauté. Il peut effectivement arriver des actes involontaires, imprudents, inacceptables socialement ou malveillants (sorcellerie) qui détruisent cet équilibre. Alors l’homme-médecine vise à rétablir l’équilibre par des rites, souvent appelés chants, en réactualisant la création du monde au contact des êtres sacrés pour retrouver le Hozho (la beauté). Il utilise dans ce sens la création artistique de mandalas ou de peintures de sable. Pour Mircea Eliade, dans son ouvrage Myth and reality : « Le mandala est avant tout une « imago mundi » ; il représente le cosmos en miniature, et en même temps le panthéon. Son élaboration équivaut à une re-création magique du monde… L’opération a sans nul doute un but thérapeutique. Devenant symboliquement contemporain de la Création du Monde, le patient est immergé dans la plénitude originelle de la vie ; il est imprégné par les forces gigantesques qui, in illo tempore, ont rendu la Création possible. »
En fin des cérémonies de guérison qui peuvent durer plusieurs jours, le patient assiste à la peinture de sable réalisée sous ses yeux par l’homme-médecine. Ces œuvres représentent la géographie réelle de l’univers Navajo et l’équilibre des forces contraires et complémentaires de l’univers symbolique (SANDNER, p.239). Le patient est ainsi délicatement immergé dans les origines et l’histoire mythologique des chants qui ont rythmé jusqu’à cet instant le rituel. Les images se construisent devant lui, détails après détails, dans une progression lente et rigoureuse. Ainsi, le malade se relie étroitement aux formes intérieures de la Terre, de Femme-Changeante (la principale déité navajo), du maïs et son pollen, de la beauté et de la puissance de chaque être mythique. L’impact émotionnel est régulièrement souligné par des expressions de surprise ou de ravissement des personnes présentes. Il est accompagné par des mélopées, des chants, des prières, savamment mêlés, pour amener le patient à l’intense concentration indispensable pour qu’il puisse s’unir psychiquement à ces forces rayonnantes, qui elles vont libérer le malade de la souffrance, du chagrin et lui rendre sa force et sa vitalité, lui montrer le chemin d’une vie longue et heureuse. (SANDNER, p.158). La voie de la beauté.
Le but ultime de la vie des Navajo est de marcher jusqu’à la mort sur la voie de la beauté, rehaussée du pollen du maïs. Il n’est pas question de survivre à la mort ou d’aller après au paradis. L’important est bien de connaître une vie longue et harmonieuse et à l’issue pouvoir être réintégré à la nature, y demeurer définitivement comme une des parties de son unité indivisible.
Tous les symboles [Navajo] s’articulent autour d’un seul grand secret – un secret que nul ne cherche à préserver, soyons-en sûrs – que nous connaissons tous, mais que nous désirons entendre encore et encore. Reichard l’a résumé en ces termes : « Le dogme navajo relie toutes les choses, naturelles et vécues, du squelette de l’homme à la destinée de l’univers, y compris l’inconcevable espace lui-même, en une unité étroitement imbriquée qui n’omet absolument rien, aucun phénomène aussi infime ou prodigieux soit-il, et dans laquelle chaque individu a une fonction significative jusqu’à ce que, lors de sa dissolution finale, il ne devienne pas seulement un avec harmonie première, mais cette harmonie elle-même. » (Cité dans Wyman 1965 b : 344.) (SANDNER, p.336)
Montrer au patient et au soignant, la voie de la beauté. Faire que le patient et le soignant deviennent eux-mêmes harmonie par la voie de la beauté, c’est une des sentiers de recherche de Let-Know Café.
Jean FAYA
SANDNER Donald F (1996). Rituels de guérison chez les navajos. Monaco : Éditions du Rocher, 350p.