Nouvelle de recherche : Quelque chose vient de soigner !!

Eugen Herrigel est un professeur de philosophie allemand. Il a voyagé au Japon au début de sa carrière et a enseigné à l’université de Sendai. Il a étudié entre 1924 et 1929 le kyūdō, soit l’art japonais du tir à l’arc sous la direction du maître Awa Kenzō. L’art du tir à l’arc, aussi appelé la voie de l’arc, est considéré comme le plus haut niveau des disciplines martiales. Sous l’influence de la tradition du bouddhisme Zen, il devint au fil des siècles une méthode de méditation dans l’action, où l’archer vise autant la cible que le dépassement de soi, pour accéder à un état de détachement véritable et à son être réel. Une fois en position de visée et l’arc tendu, atteindre la cible n’est pas essentiel. La position peut être tenue ainsi de longues minutes. La quête est intérieure, grâce à la conduite du souffle, de la concentration, d’une maîtrise de soi et de ses énergies. Il est visé l’harmonie entre le corps, le cœur et le mental. Notre élève philosophe a bien du mal à se mettre dans l’exercice. Il s’énerve, perd patience, cherche dans sa détermination une efficacité. Le maître aussi s’agace et d’une voix forte lui lance : « Le noble art est sans intention, sans but ! Le plus obstinément tu essaieras d’apprendre à tirer ta flèche pour atteindre la cible, et le moins tu y parviendras. Ce qui te bloque le passage, c’est ta volonté qui est bien trop présente. Tu penses que ce que tu ne fais pas toi-même ne se manifeste pas ». Il l’invite à ne pas réfléchir pour savoir comment il doit s’y prendre, de cesser de penser à la détente, être comme la feuille de bambou qui ploie de plus en plus sous le poids de la neige qui dégringole soudain sans que la feuille ait bougé d’un pouce. Après des semaines d’effort, tout d’un coup, la flèche part dans le sens de l’art, et le maître satisfait dit : « Quelque chose tire ! Quelque chose vient de tirer ! […] Cette fois, vous vous teniez complètement oublieux de vous-même, sans aucune intention dans la tension maxima, alors, comme un fruit mûr, le coup s’est détaché de vous. » Et s’il y avait là rapport avec le soin ? Viser parfois une relation thérapeutique sans but, sans intention, sans l’obstination de réussir, de guérir. Laisser sur le côté sa volonté. Ne pas penser à soigner. Être juste dans la présence. Et alors, tout d’un coup, le soin part dans le sens de l’art. Quelque chose soigne ! Quelque chose vient de soigner !! C’est là une des voies de recherche de Let-Know Café ! 

JF

HERRIGEL Eugen (1970). Le Zen dans l’art chevaleresque du tir à l’arc. Paris : Edition Dervy, 144 p.