L'édito d'automne : Le premier soin du monde !
Jean Faya
Automne 2022
Il est des personnes qui par leur rencontre enchantent un pan de votre existence et vous ouvrent les portes sur un monde aux perspectives plus nombreuses et plus singulières. J’ai eu comme vous quelques rencontres ainsi enchantées, celle de cette écrivain qui parle dans son dernier livre des besogneux qui « trébuchent, hésitent, mais avec la légèreté des simples, qui vont gratter là seulement où ça touche, avec l’obstination amoureuse d’une langue d’escargot suçant la pierre, et s’oubliant, pour livrer passage, s’oubliant. » (p.147) J’ai reconnu dans ces mots le labeur de ceux qui travaillent à Let-Know Café, leur obstination amoureuse, comme cette langue d’escargot sur la pierre. Le travail discret et besogneux. Ce fond du soin que nous voulons rendre au malade, « cette sensation que va l’habiter d’abord comme une conscience, un souvenir de bleuté », le fond du monde comme dit l’écrivain (p.84-85). Son origine, comme le premier soin.
Les graines de notre travail bien enracinées, les jeunes pousses naissent chez nous à l’automne. Et voilà tranquillement venir de notre intuition et dans notre monde, le soin poétique. C’est le soin qui trouve son origine dans la philosophie d’Edmund Husserl de l’intentionnalité. Celle où le monde naturel, cette représentation du monde que l’on croit commune à tous, n’existe pas. Le monde n’est que notre monde personnel. Il n’est que le résultat de la façon dont notre conscience vise les choses et interagit avec ce qui l’environne. Le monde n’est que notre propre rapport au monde. Nous pouvons comprendre ainsi que l’univers du patient est pour le thérapeute fondamentalement mystérieux. Le patient est de ce fait le plus à même de trouver ses bonnes solutions. Il doit être le souverain de son soin. Il doit retrouver une liberté, celle de se détacher de l’illusion du monde que l’on nous vend dans certains récits familiaux, médiatiques, politiques, scientifiques et autres. Alors, si le monde ne convient pas, il devient à cette vue tout à fait possible d’en changer : il suffit de changer notre intention, changer notre visée, porter notre regard ailleurs.
L’objectif du soin poétique est de viser différemment le monde, et de faire ainsi émerger de nouveaux éléments à la conscience, un autre espace plus favorable à sa santé, un rapport plus harmonieux aux choses, un habiter plus large, de nouvelles possibilités. La pratique est basée sur l’intention de se lier, de relationner, de dialoguer différemment avec les choses présentes lors de la séance. C’est un cheminement d’être à être, charnel, par les sens, pour trouver un monde plus large et sensuel (la chair du monde), inspiré de la philosophie de Merleau-Ponty, chemin dont on ne présume pas de la trajectoire. Il vise un mieux-être, un soin, par l’amorce bienveillante du dispositif, le retour à la communauté, l’ouverture à l’invisible par le langage poétique, et l’inspiration des forces de vie de la nature et de sa beauté.
· Le soin poétique est effectivement une pratique collective. Le groupe permet à la personne qui souffre de ne pas s’isoler dans son symptôme ou dans un soin stigmatisant.
· Le soin poétique comme son nom l’indique se base sur la poésie, pour moi celles d’Hölderlin, de Char, de Rilke, de Chedid. Cette poésie propose une métaphore qui permet de se diriger dans la chair du monde, soit le monde dans ses sens les plus larges, au-delà de nos présupposés culturels. Elle est le véhicule pour explorer le mystère, l’invisible, un univers plus grand. La poésie est une voix qui accompagne un chemin de la reliance à l’environnement, au monde visible et invisible. Elle explicite une ouverture à ce qui est. La poésie permet de vitaliser une pensée ronde, celle de l’analogie, de l’association qui diffère de la pensée carrée, objective et technique. La pensée ronde est celle d’une intelligence ouverte, sauvage, celle de la verticalité, du vécu et de la chair. La poésie pour Husserl fertilise l’imagination par la puissance suggestive de ses moyens de représentations, et alimente la connaissance des vérités éternelles. La poésie renseigne sur les espérances, permet d’attraper ce que l’on ne sait pas consciemment, de transformer notre rapport au monde, et trouver des solutions pour mieux vivre, pour être en santé.
- Le soin poétique se pratique dans la nature, et notamment en forêt. La forêt permet de faire silence un temps sur les projections humaines, les intentions dirigées, les interprétations incessantes (l’horizontalité), et permet d’accéder à d’autres perceptions, de retrouver le plein air (la verticalité). La forêt propose une visée, une mise en lien avec le processus de vie à l’œuvre dans nature, les saisons, les éléments, le grand air, l’arbre et l’oiseau, pour que l’esprit soit happé par l’extérieur, vers une inspiration positive, une créativité, l’émergence de nouvelles possibilités. Être en forêt permet une pensée reliée, sauvage donc souveraine, une expérience augmentée qui tisse des connexions avec les choses du monde.
- Le soin poétique est nourri de l’enseignement mythique des auteurs que nous aimons, les philosophes et les poètes. Leurs vues, leurs sagesses, leurs images enchantent, emmènent, encouragent, avivent cette pensée ronde, sauvage, libératrice et souveraine que l’on vise.
Dans le soin poétique, il y a bien un thérapeute. Mais son rôle n’est pas celui d’un expert qui délivre son savoir à son patient. Le patient est pour son thérapeute, nous l’avons dit fondamentalement un mystère. Le thérapeute évite donc strictement toutes projections et interprétations personnelles sur l’expérience du patient. Il apporte les conditions et le cadre qui rendent cette expérience possible. Il propose une ambiance bienveillante et sécurisante par son attitude de mise en confiance. Il est garant de la souveraineté de l’autre. Il propose cette invitation à voir ce qui est là, à se lier, relationner, dialoguer, trouver des possibles et la liberté. Il représente une sécurité en cas de difficultés avec un relais facile vers une prise en charge classique au cabinet. Il participe et vit l’expérience au même titre que les autres, pour permettre une réciprocité.
Retrouver le regard neuf, celui de la simplicité crue, celui du souvenir. Du premier soin du monde.
Pour découvrir et vivre l’expérience d’un soin poétique, c’est ICI !
Et le programme des rencontres 2022-2023, c’est LÀ !
Merci à Anne Sibran pour son livre, Le premier rêve du monde, Paris : Gallimard, 2022, 256p.