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visuel Virus atteint mon corps

Coup de cœur : Virus atteint mon corps

G. P.

30 octobre 2020

Virus atteint le corps ; s’échappe des circuits, s’infiltre irrationnellement sous notre peau,
embaumée d’hygiène et de protections.
Le virus peut passer sans se faire voir, nous amène soudain à une « culture du corps », mais toute
particulière : corps filtrés, désinfectés, à distance les uns des autres.
Nous sommes devenus des surfaces-corps.
Nos corps sont atteignables par l’ennemi.
Nos masques transfigurent nos corps, la proxémique, la perception des visages.
Nos sourires sont amputés.
Restent les rides de nos yeux pour nous deviner.
Nous pouvons alors nous fondre avec le masque, et confondre.
C’est un flux de confusion généralisée dans lequel on navigue, sans y voir de direction.
On fait avec.
Entre peur et réalisme.
Des fois critiques, fatigués, ras-le-bol.
La normalité est lointaine désormais.
Ajustement collectif, contours flous…
Peuple docile obéit en dépit de tout.
Les décideurs sont très hauts et leur voix véhicule les choix qu’on suivra tous.
C’est ainsi du jour au lendemain, en urgence, tout de suite.
On forme un « nous » dans ce mouvement grégaire d’obéissance. Jamais nous n’aurions été aussi unis
dans un destin commun, même pas pour une manif planétaire à la veille d’une guerre imminente. Nous
sommes déjà « en guerre » (on nous avait prévenus au début).
On s’adapte aux protocoles – gestes barrières, restrictions, interdictions – un nouvel ordre, une nouvelle
trame, des nouveaux habitus, une nouvelle manière d’habiter le corps social.
On confie tout notre corps alors à cette réorganisation immédiate, et nos vies contenues dans nos corps.
Plasticité: être à la fois resignés et dociles, rigoureux et stricts. On est ce qu’on nous dit d’être et selon
des temporalités posées (durée des déplacements, couvre-feu…). Dans le petit de nos vies, je remarque
banalement une perte : la spontanéité d’être juste nous-mêmes. Inviter des copains sans se demander si
source de contagion, espérer un Noël avec des grands-parents, ne pas culpabiliser les jeunes, ne pas se
voir comme dangers potentiels, cultiver nos liens sans limites, ni retenues : c’est du passé. Et pour
certaines : les solitudes exaspérées, les névroses, les violences.
Résultat : individualité / isme / peur.
Anthropologie de l’homme aux temps du covid. Psychologie et sociologie auront de la matière !
On se pointe du doigt des fois.
Pas oublier que nous sommes tous potentiellement contaminables.
Comme dire assassins ?
Porter ce poids.
Mais la vérité est qu’on ne sait pas.
Vivre ou transfigurer notre vie ?
Schizophrènes entre le passé insouciant et cette nouvelle vie retissée.
Dans ces contraintes, qu’est-ce qu’on fait de l’amitié ?
Comme un réflexe de survie : se tenir en vie, dans les corps surfaces – contaminables.
Mais des fois c’est trop tard, c’est une erreur : alors poids, culpabilité, condamnation.
On est porteurs de lui : l’ennemi, le virus.
On est fusionnés à lui, à son mal.
Notre corps est son corps.
Impuissance et culpabilité.
Ce qui m’est arrivé.
Je suis guérie du covid comme 90% des personnes atteintes.
Aucun journal télévisé n’est venu m’interviewer. L’opinion publique s’appuie sur des images
convergentes, une usine où broyer les mots de la peur, les intubations, les cas dramatiques.
Pas montrer aussi les chiffres et visages des guérisons. Je suis inintéressante si je dis que c’était une
grippe. Je ne contribue pas à renforcer le sentiment massif de peur. Mais je comprends pour ceux qui
ont souffert plus que moi. Je conclue : il faut penser aux cas minoritaires de souffrance. Donc
collaborons. Civisme.
Bonne chose, peut-être la seule dans l’affaire.
Pourrons-nous nous mobiliser un jour avec la même force collective – massive, pour descendre dans les
rues et prétendre à une autre gestion du système économique et sanitaire ? Pourrons-nous penser que cet
« ordre au-dessus de nous » auquel on répond si sagement, un jour va prendre en compte notre avis, à la
lumière de ce qu’on a accepté ?
Garder trace, et se re-organiser, changer les trames, retisser les choses : utopie.
La même réponse : on est résignés.
Accepter nos transfigurations.
Anthropologiquement bouleversant.
Est-ce qu’à force d’adopter des nouveaux habitus-habitudes, changerons-nous définitivement nos
propres perceptions ? Incarnerons-nous une autre humanité ?

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