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visuel Le marquis de Sade donne leçon à Gérard Collomb

Le marquis de Sade donne leçon à Gérard Collomb (audio)

Jean Faya

7 février 2017

Bon, vous savez comment ça marche le monde, aujourd’hui ? Ben, pour faire vite, il y a le Nord, riche. Et il y a le Sud, pauvre. Et le Nord est riche grâce au Sud qui est pauvre. On appelle ça la globalisation. Alors dans ce tableau, certains du Sud se rebellent, ne l’acceptent pas. Ils décident de se protéger de la violence, de fuir la pauvreté, de s’offrir 30 ans de vie en plus. Ils tentent de passer vers le Nord. Certains meurent. D’autres, plus chanceux ou débrouillards, parviennent à rejoindre le Nord. Parmi eux, il y a des enfants, des mineurs ou de tout jeunes adultes, parfois seuls (on dit « isolés »). Quelques-uns de ceux-là s’échouent à Lyon. Le principe de notre accueil local est qu’ils soient pris en charge par les services de l’Aide sociale à l’enfance (ASE). Pour cela, ils doivent passer par la MÉOMIE (Mission pour l’évaluation et l’orientation des mineurs isolés étrangers), elle-même sous la direction de la Métropole de Lyon et de l’ASE, pour juger entre autres de leur minorité. Et comme le Sud est très pauvre et le Nord est très riche, eh bien il y a beaucoup de candidats pour les 30 ans de vie en plus. Logique. Normal, même. Et de fait, les structures d’accueil dédiées sont saturées. Alors le responsable du système, Gérard Collomb, pourrait demander à la MÉOMIE de bien faire son travail, d’être ferme, de débusquer et repousser les « faux mineurs ». Et pour ceux qui tenteraient de bidouiller leurs papiers d’identité pour pouvoir bénéficier d’un toit, de quoi bouffer, de soins, finalement, il pourrait demander au procureur de, lui aussi, bien faire son travail. Et ainsi, le Parquet pourrait ordonner, pour quelques-uns, des enquêtes policières sur l’âge, le parcours et l’authenticité des papiers à partir des doutes de la MÉOMIE.

 

Ainsi depuis 3 ans, plus d’une centaine de jeunes étrangers ont été traînés en comparution immédiate devant le tribunal correctionnel pour répondre de l’accusation d’escroquerie « en usant de la fausse qualité de mineur ». À chaque fois, la Métropole s’est portée partie civile, la Sécurité sociale aussi parfois, réclamant le remboursement des frais de prise en charge. Ces jeunes seraient en fait des voleurs, des voleurs de l’argent public. Quatre d’entre eux ont été condamnés à de la prison ferme ou avec sursis… Eh ben… Nous, à Let-Know Café, ça nous retourne le bide ! Que nous soyons ici, là, dans notre ville, capables de mettre en tôle un jeune qui demande de l’aide, le condamnant pour « escroquerie » sur quelques sous qui, de toutes façons, mineurs ou pas, devraient lui être consacrés quand les conditions de son trajet sont générées aussi par nos gigantesques escroqueries, nous on dit que là, la politique est tellement malade qu’elle est à l’agonie !

 

Vous allez me dire : « Mais docteur, pourquoi faites vous de la politique ? Retournez donc écouter les cœurs et palper les ventres ». Alors à ceux-là, je réponds que si, il faut que les médecins fassent plus que s’intéresser à la question politique. Peut-on soigner sans prendre soin ? Non. Peut-on prendre soin sans se mettre d’accord sur la façon dont on organise ensemble le soin ? Non. Peut-on se mettre d’accord sur la façon dont ensemble on organise le soin, sans faire de la politique ? Non. Se mettre d’accord sur la façon dont on organise le soin, c’est ce que l’on appelle la politique, la politique de soin.

Alors comment on réanime une politique à l’agonie ? D’abord, débarrassons la table pour y poser les bons outils. « On ne peut pas accueillir toute la misère du monde ? » Poubelle ! Ce genre d’argument ne tient pas une seconde quand on est soi-même pour bonne part à l’origine de la misère. « On ne fait là qu’appliquer la loi ? » Poubelle ! On ne peut s’en tenir toujours à la loi, quand elle est issue de valeurs non partagées et dont le caractère collectif ne sied pas aux circonstances individuelles. « Les structures d’accueils sont saturées ? » Poubelle ! S’il y a une demande d’aide légitime, il faut ouvrir des places et mieux prioriser nos moyens. « Si les mineurs sont des majeurs, il faut les condamner ? » Poubelle ! Il faut juste se demander comment accueillir ceux-là, les accompagner à ce stade de leur vie et prendre soin d’eux, comme de chacun.

 

Ah, voilà la table plus dégagée. On va donc pouvoir y mettre nos bons outils : quelques cacahouètes grillées, quelques bières fraîches et l’ouvrage du Marquis de Sade « La philosophie dans le boudoir ». Il ne reste plus qu’à inviter Gérard Collomb à nous rejoindre et laisser le Marquis nous offrir une leçon de politique générale à propos du vol et de l’escroquerie. Dans cet ouvrage à lire, il est vrai, l’esprit critique et grand ouvert, Sade propose un texte qu’il intitule « Gérard… », heu non, pardon « Français, encore un effort si vous voulez être républicains… ». Ce livre est publié en 1795, juste après la Révolution, vous savez, quand la nation a décidé de l’abolition des privilèges. 222 ans plus tard, les débats de jadis sur la nation-France s’élargissent aujourd’hui à la nation-Monde.

 

 

« Le vol est le second des délits moraux dont nous nous sommes proposé l’examen. […]. J’oserai demander, sans partialité maintenant, si le vol, dont l’effet est d’égaliser les richesses, est un grand mal dans un gouvernement dont le but est l’égalité. Non, sans doute ; car, s’il entretient l’égalité d’un côté, de l’autre il rend plus exact à conserver son bien. Il y avait un peuple qui punissait non pas le voleur, mais celui qui s’était laissé voler, afin de lui apprendre à soigner ses propriétés. Ceci nous amène à des réflexions plus étendues.

À Dieu ne plaise que je veuille attaquer ou détruire ici le serment du respect des propriétés, que vient de prononcer la nation ; mais me permettra-t-on quelques idées sur l’injustice de ce serment ? Quel est l’esprit d’un serment prononcé par tous les individus d’une nation ? N’est-il pas de maintenir une parfaite égalité parmi les citoyens, de les soumettre tous également à la loi protectrice des propriétés de tous ? Or, je vous demande maintenant si elle est bien juste, la loi qui ordonne à celui qui n’a rien de respecter celui qui a tout. Quels sont les éléments du pacte social ? Ne consiste-t-il pas à céder un peu de sa liberté et de ses propriétés pour assurer et maintenir ce que l’on conserve de l’un et de l’autre ? Toutes les lois sont assises sur ces bases ; elles sont les motifs des punitions infligées à celui qui abuse de sa liberté. Elles autorisent de même les impositions ; ce qui fait qu’un citoyen ne se récrie pas lorsqu’on les exige de lui, c’est qu’il sait qu’au moyen de ce qu’il donne, on lui conserve ce qui lui reste ; mais, encore une fois, de quel droit celui qui n’a rien s’enchaînera-t-il sous un pacte qui ne protège que celui qui a tout ? Si vous faites un acte d’équité en conservant, par votre serment, les propriétés du riche, ne faites-vous pas une injustice en exigeant ce serment du « conservateur » qui n’a rien ? Quel intérêt celui-ci a-t-il à votre serment ? Et pourquoi voulez-vous qu’il promette une chose uniquement favorable à celui qui diffère autant de lui par ses richesses ? Il n’est assurément rien de plus injuste : un serment doit avoir un effet égal sur tous les individus qui le prononcent ; il est impossible qu’il puisse enchaîner celui qui n’a aucun intérêt à son maintien, parce qu’il ne serait plus alors le pacte d’un peuple libre : il serait l’arme du fort sur le faible, contre lequel celui-ci devrait se révolter sans cesse ; or c’est ce qui arrive dans le serment du respect des propriétés que vient d’exiger la nation ; le riche seul y enchaîne le pauvre, le riche seul a intérêt au serment que prononce le pauvre avec tant d’inconsidération qu’il ne voit pas qu’au moyen de ce serment, extorqué à sa bonne foi, il s’engage à faire une chose qu’on ne peut pas faire vis-à-vis de lui. Convaincus, ainsi que vous devez l’être, de cette barbare inégalité, n’aggravez donc pas votre injustice en punissant celui qui n’a rien d’avoir osé dérober quelque chose à celui qui a tout : votre inéquitable serment lui en donne plus de droit que jamais. En le contraignant au parjure par ce serment absurde pour lui, vous légitimez tous les crimes où le portera ce parjure ; il ne vous appartient donc plus de punir ce dont vous avez été la cause. Je n’en dirai pas davantage pour faire sentir la cruauté horrible qu’il y a à punir les voleurs. Imitez la loi sage du peuple dont je viens de parler ; punissez l’homme assez négligent pour se laisser voler, mais ne prononcez aucune espèce de peine contre celui qui vole ; songez que votre serment l’autorise à cette action et qu’il n’a fait, en s’y livrant, que suivre le premier et le plus sage des mouvements de la nature, celui de conserver sa propre existence, n’importe aux dépens de qui. »

 

MARQUIS DE SADE (2014 [1795]). Français, encore un effort si vous voulez être républicains. Paris : Mille et une nuits. (pp. 36-37).

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