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Fraternité chérie

Jean Faya

11 janvier 2015

En ce jour de dimanche qui vient mettre un terme à cette sombre semaine, la république tente de digérer… Combien sont-ils dans la rue à battre le pavé, leaders politiques en tête, à revendiquer l’unité, à revendiquer défendre nos valeurs républicaines ? Nos valeurs mises à l’épreuve de notre vie ensemble. Liberté. C’est celle-ci que l’on amène en tête des cortèges, liberté d’expression, mais aussi liberté de provocation, liberté de cliver. Égalité. C’est celle-là que l’on tente de ne pas oublier, que l’on traîne sur les pavés un peu comme un boulet quand trimbaler à sa place la laïcité serait peut-être plus pratique. Fraternité. Heu, celle-là… Ah oui ?  Elle est dans le cortège ? On n’en parle tellement jamais d’habitude qu’on ne sait même plus ce qu’elle veut dire. Tiens, prenons le vieux Larousse de 1995. Fraternité : « Lien de solidarité et d’amitié entre des êtres humains, entre les membres d’une société ». Humm, c’est pas mal… Et que dit le Larousse du net en 2015 ? Fraternité : « Lien de solidarité qui devrait unir tous les membres de la famille humaine ». Mince ! En 10 ans, la fraternité a perdu sa dimension d’amitié. Reste la solidarité ? Ce « lien de dépendance mutuelle entre les hommes », selon le même dico. On aimerait que la fraternité soit justement quelque chose d’un peu plus que la solidarité et sa connotation économique, un truc bien humain : l’amitié, l’affection, l’attachement, la sympathie, la bienveillance… Je pense en ces jours de deuil avec bienveillance aux caricaturistes de Charlie Hebdo, qui pensaient, dans un courage affiché, utile à nos existences de diffuser des représentations de Mahomet en positon obscène, une étoile dans le cul. Je pense avec bienveillance à ce jeune garçon arabe, collègue de classe d’un de mes enfants, qui s’est levé de sa chaise, lui, le timide, suite au discours proche des larmes de son professeur, lecteur assidu de Charlie, pour lancer « mais madame, pour nous c’est très interdit de représenter le prophète, et vous savez ce qu’ils ont fait ? ». T’es aussi courageux, petit gars. J’ai envie de te dire que non, je ne suis pas Charlie, mais je ne suis pas toi, non plus. C’est ça que tente, dans une voix quasi inaudible, d’expliquer l’anthropologie. Nous sommes ce que fait de nous notre histoire, notre contexte de vie et notre besoin incontournable de donner du sens à nos existences. Alors qu’est ce qu’on fait maintenant ? Nous, on propose de faire ce qu’exprime si bien Tim INGOLD*, cet anthropologue anglais, quand il dit en première page de notre site : « Si nous voulons survivre, nous avons besoin de toute l’aide que nous pourrions trouver. Mais personne – aucun groupe indigène, aucune science spécialisée, aucune doctrine ni philosophie – ne détient les clefs de l’avenir, pour autant qu’elles existent. Cet avenir, nous devons le fabriquer par nous-mêmes, et nous n’y parviendrons que par le dialogue. Ma conviction est que le rôle de l’anthropologie consiste à étendre le champ de ce dialogue : à faire de la vie humaine elle-même une conversation ». Travailler à établir le dialogue sans être honteux de revendiquer la bienveillance pour les uns autant que pour les autres, ce sera aussi réanimer la valeur de fraternité qui est à l’agonie. Ouachh (encore)… Y a du taf, les collègues, et quelle responsabilité !


JF


*DESCOLA, Philippe, INGOLD, Tim. Être au monde, quelle expérience commune ? (débat présenté par Michel LUSSAULT). Lyon : PUL , 2014, 78 p.
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